LA TERRE, UNE RESSOURCE LIMITEE
?
La première question à
laquelle on songe face au défi alimentaire est celle
de l'augmentation des terres cultivées. [...]
Apparemment il y a encore de la place : le
monde compte à peu près 11 milliards d'hectares
de sol mais il y a là des déserts, des zones
arides, des forêts aussi dont la fonction est essentielle,
des étendues de savanes, de toundras ou de taïga
qui ne se prêtent guère à l'activité
agricole. En réalité il n'y a guère que
20% des terres qui soient arables, ce qui correspond à
peu près au 1,6 milliards d'hectares actuellement cultivés.
[...]
Le problème est que la croissance
urbaine s'est faite au détriment de ces " bonnes
terres ". Plus de la moitié de la population du
monde vit désormais dans des zones urbaines, souvent
dans quelques-unes de ces immenses mégapoles, presque
surgies de nulle part, que l'on retrouve dans les pays du
Sud. Chaque année la Chine perd quelques 500 000 hectares
de terres arables sur un potentiel total qui dépasse
à peine les 110 millions d'hectares. En Inde, les conflits
autour de la terre menacée par l'extension urbaine
et industrielle se font chaque jour plus violent. Chaque année,
l'Egypte perd 25 000 hectares des terres de la vallée
du Nil. Même dans un pays comme la France, les surfaces
cultivées diminuent chaque année moins du fait
de la déprise agricole et de l'expansion forestière
que de l'extension des villes, du mitage des résidences
secondaires, du développement des infrastructures de
transport. L'aéroport de Roissy ou Eurodisney, ce sont
autant des meilleures terres françaises qui disparaissent.
Ceci peut-il être compensé par
la mise en exploitation de nouvelles terres ? Théoriquement
le potentiel est là mais à y regarder de près,
il existe bien peu de " terres vierges " présentant
les qualités adéquates ainsi que la disponibilité
en eau. Ceux qui parlent de plusieurs milliards de nouvelles
terres cultivables ne sont pas sérieux. Le chiffres
exact est plutôt de l'ordre de quelques centaines de
millions et compensera simplement les pertes dues à
l'urbanisation. [...]
Le réchauffement climatique en cours a fait germer
d'autres espoirs. Ne sera-t-il pas possible de labourer plus
au Nord, de mettre en culture au moins le sud des grandes
plaines sibériennes et canadiennes ? On peut en effet
l'imaginer, quoique ces terres à peine échappées
eu permafrost mettront des décennies avant de devenir
cultivables. [...]
Car l'espace n'est pas la seule condition.
Il faut aussi des sols de qualité et de l'eau. La question
de l'eau est déjà au centre de maintes préoccupations,
de l'Espagne à la Chine. Principale utilisatrice de
l'eau disponible, l'agriculture est de plus en plus montrée
du doigt, ses prélèvements devenant insupportables
par rapport aux besoins des villes et de leurs habitants.
Force est de constater que les politiques de l'eau -quand
elles existent- visent avant tout l'alimentation des villes
et non l'agriculture, et que celle-ci est moins une priorité
qu'une contrainte.
Quant aux sols, sans épouser les thèses
pessimistes de ceux qui pensent irréversible l'appauvrissement
provoqué par l'agriculture intensive, force est de
constater qu'en de nombreux endroits l'utilisation d'engrais
touche ses limites. A ce propos il faut signaler que parallèlement
à la hausse du prix du pétrole, on a assisté
à une hausse sans précédent du prix des
engrais, notamment de la potasse et surtout des phosphates.
Le prix des engrais phosphates a été multiplié
par sept en 2007 et 2008, ce qui a renforcé la mainmise
du Maroc sur ce marché stratégique. [...]
Résumons donc notre propos : contrairement
aux thèses les plus optimistes, notamment celles de
la FAO, le potentiel d'augmentation des terres cultivables
dans le monde est limité et compensera en fait la disparition
d'excellentes terres gagnées par la croissance urbaine.
En réalité nous devons raisonner ce XXIe siècle
à surface agricole utile presque constante. L'augmentation
des surfaces irriguées se heurtera vite dans de nombreuses
régions à la disponibilité en eau et
enfin il faut anticiper au moins un renchérissement
assez net du cours des engrais. Est-ce là une vision
pessimiste ? Peut-être, mais elle a au moins le mérite
d'écarter une solution qui en rassurant à bon
compte permettrait de ne pas aller plus en avant dans notre
questionnement. [...]
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Avec l'aimable accord de son auteur,
Chap. VI, Le monde a faim, Philippe Chalmin - Bourin Editeur
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