L'HOMME ET LA TERRE
Toute l'histoire de l'agriculture est celle
des relations de l'homme avec la terre, avec " sa "
terre. Au fil des siècles le modèle qui s'est
imposé comme le plus efficace, le plus rentable en
termes de coûts et de productivité, est celui
de l'exploitation familiale avec un recours plus ou moins
important au salariat. L'un des échecs de Rome, qui
précipita quelques siècles plus tard la chute
de l'empire romain, fut de n'avoir pu conserver les exploitations
de ses paysans-légionnaires et de laisser se développer
en Italie et en Sicile la grande propriété latifundiaire.
Plus tard, à la fin du XIXe siècle, ce fut la
grande différence entre les Etats-Unis et l'Argentine
: d'un côté, des " farmers " cultivant
leurs carrés de terrain ; de l'autre, la constitution
de vastes domaines extensifs. Nous ne reviendrons pas sur
l'échec des collectivisations des terres entreprises
au XXe siècle, qu'il s'agisse des sovkhozes et des
kolkhozes soviétiques, des communes populaires chinoises,
de toutes les formes de " coopératives "
qui se sont développées dans le tiers-monde,
de l'Algérie à l'Indonésie au lendemain
des indépendances et de l'expropriation des colons.
[...]
Collectives ou capitalistes, les solutions aux problèmes
agricoles - que l'on pouvait aisément planifier dans
le confort de bureaux climatisés à Rome (FAO)
, ou à Washington (Banque Mondiale) - se heurte au
caractère particulier de l'activité agricole
: une activité faites d'aléas climatiques et
naturels, différente d'une parcelle à l'autre
et que ne peut vraiment appréhender que celui qui les
cultive en direct : l'exploitant, le fermier, le paysan, l'agriculteur,
quel que soit le nom qu'on veuille lui donner.
Le système qui a fait ses preuves, qui a permis le
développement extraordinaire de l'agriculture occidentale,
est bien celui de l'agriculteur individuel, du modèle
de l'exploitation familiale, et c'est évidemment sur
cette base qu'il faut imaginer le développement et
la modernisation des agricultures du tiers-monde plutôt
que sur d'hypothétiques investissements étrangers
(ou publics) qui marginaliseraient un peu plus la vraie richesse
des agricultures, les hommes.
Il est difficile d'expliquer la relation complexe de l'homme
à " sa " terre. Plutôt que d'imposer
au lecteur un pathos lénifiant, constations simplement
que c'est l'exploitation individuelle qui, sous tous les climats,
dans toutes les civilisations, a donné - et de loin
- les meilleurs résultats. Même les coopératives
de production, fondées sur le volontariat (et non pas
les coopératives à la chinoise ou à la
soviétique), si prisées des milieux altermondialistes,
ont eu en agriculture peu de succès dans la durée.
Toute politique agricole doit donc aider et s'appuyer sur
le tissus des agriculteurs individuels, et c'est cela qui,
on le verra, les rend si complexes à gérer.
Un point à propos de la terre soit être souligné
: il s'gait de sa propriété et de l'accès
au foncier pour les petits paysans. Dans nombre de pays, les
réformes agraires qui s'étalent entre les années
1920 et les années 1960 ont débouché
sur une collectivisation plus ou moins avouée. La chute
du communisme et le courant de libéralisation de la
fin du XXe siècle ont provoqué le mouvement
inverse, souvent dans le chaos le plus total : la question
de la propriété du sol n'a pas été
résolue dans des états comme la Russie, l'Ukraine,
les pays d'Asie Centrale et même la Chine, si ce n'est
au profit de quelques oligarques locaux dont les projets de
" fermes " allant jusqu'au million d'hectares (en
Russie) font frémir. Dans bien d'autres cas, surtout
en Afrique subsaharienne, c'est le problème tout simple
de l'absence de cadastre qui se pose. La règle coutumière
qui di que la terre appartient à celui qui la cultive
est au cur de maintes tensions ethniques, en Côte
d'Ivoire par exemple, entre Burkinabés et Baoulés.
L'existence d'un droit du sol , permettant
un développement de la propriété individuelle
au-delà de toute forme de contrôle collectif,
est à notre sens, une condition sine qua non
du développement agricole en maintes régions.
Faut-il d'ailleurs rappeler que les agriculteurs britanniques
d'abord, français par la suite, n'ont commencé
à décoller qu'à partir du moment où
on été abolis les communaux et tous les droits
comme la vaine pâture issus des premières communautés
féodales. Dans nombre de pays du tiers-monde, ce )pas
n'a pas toujours été franchi et plutôt
que de s'émerveiller de la survivance de communautés
plus ou moins tribales (et forcément sympathiques
),
il faut accepter d'y voir souvent un obstacle au développement
agricole.
[...]
Lire la
conclusion "La monde a faim : Que dire? Que faire ?
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Avec l'aimable accord de son auteur,
Chap. VIII, L'homme et la terre, Philippe Chalmin - Bourin
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